Blocages inutiles de sites Internet : lutte contre la prostitution

Il est difficile d’écrire sur un sujet pareil, sauf à risquer de passer pour un sans-cœur souhaitant perpétuer l’exploitation de la misère humaine.

Il existe depuis des décennies une tendance politico-médiatique bien identifiée, celle des lois d’affichage, fondées consciemment ou non sur une constatation simple : il est plus facile et pas forcément moins efficace électoralement de dire et faire croire que l’on agit plutôt que d’agir efficacement.

La prostitution est illégale en France.

La prostitution n’est ni interdite ni autorisée en France, d’après Wikipedia. Un flou artistique typiquement français.

On pourrait penser le sujet clos d’un point de vue législatif.

Or une nouvelle proposition de loi souhaite renforcer les moyens de lutte contre celle-ci.

Je ne vais pas débattre de la pertinence ou non de cette interdiction, c’est un long débat et pas du tout ma spécialité.

Mais, comme de nombreuses personnes l’avaient craint lors du vote des lois sur le jeu en ligne, la tentation du blocage de sites s’étend peu à peu de manière pavlovienne à de nouveaux domaines d’activité, sans considération de son efficacité déjà intrinsèquement douteuse.

Ainsi, la nouvelle proposition de loi suggère d’instaurer un blocage soumis simplement au bon vouloir d’une administration — donc une nouvelle fois en toute opacité, sans le contrôle a priori d’un juge :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1437.asp :

« Lorsque les nécessités de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle relevant des articles 225-4-1, 225-5 et 225-6 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai. Les décisions de l’autorité administrative peuvent être contestées devant le juge administratif dans les conditions de droit commun. »

Cela pourrait déjà être critiquable en soi.

Mais il est extrêmement facile de vérifier sans quitter sa chaise que les sites d'”escortes” comportent en général une mention de ce style pour échapper à la qualification de prostitution, donc a fortiori de proxénétisme ou de traite des êtres humains :

Les services proposés sont ceux d’une accompagnatrice de luxe. Toute autre relation qui pourrait intervenir relèverait de la vie privée entre deux adultes consentants et serait détachée de la prestation.

Autrement dit, les sites supposés visés par la future loi y échappent déjà à l’heure actuelle. Ils ne seront pas bloqués. Un joli coup d’épée dans l’eau. À moins, bien pire, que cela donne à l’administration le pouvoir de bloquer arbitrairement ce qui pourrait selon elle dissimuler un service de prostitution non ouvertement annoncé comme tel.

Par ailleurs, la différence avec les jeux en ligne est évidente : ici le site ne sert que de vitrine, alors que dans le cas des jeux en ligne, il constitue l’activité proprement dite.

Comme dans le cas de la lutte contre la pédophilie, le blocage ou la fermeture du site ne changeront donc strictement rien à l’activité sous-jacente. Un autre coup d’épée dans l’eau.

On peut donc, une nouvelle fois, parler de tartufferie au sens presque littéral.

Si j’avais mauvais esprit — un écueil dans lequel je ne voudrais pas tomber –, j’y verrais une volonté d’étendre à nouveau la mainmise du politique sur Internet, afin d’essayer de le civiliser, autant que peuvent l’être les média audiovisuels déjà sous la coupe le bienveillant patronage du CSA et de présidents de chaînes publiques nommés en toute indépendance.

Mise à jour 21/10/2013 : un article complet sur cette loi chez Camille.