Vous avez sûrement suivi, comme moi, les débats sur la loi renseignement. Et sinon, si vous avez du temps, les vidéos (bittorrent) des débats à l’assemblée sont ici. et ici le texte (en son état actuel, à voter par l’assemblée le 5 mai).
Je voudrais revenir sur un point précis, un parmi de nombreux autres, mais l’un des plus importants.
Bernard Cazeneuve a répété de nombreuses fois que la loi renseignement n’établit pas une surveillance de masse. Il l’a dit à l’assemblée nationale, et également dans des interviews, comme celle-ci à Libération :
http://www.liberation.fr/societe/2015/04/10/parler-de-surveillance-generalisee-est-un-mensonge_1238662
Les mesures proposées ne visent nullement à instaurer une surveillance de masse ; elles cherchent au contraire à cibler les personnes qu’il faut suivre pour mieux protéger les Français. […] Parler de surveillance généralisée est un mensonge ! […] Les groupes ou les individus engagés dans des opérations terroristes ont des comportements numériques caractéristiques. C’est pour détecter leurs complices ou leurs pairs que l’algorithme est prévu.
Les passage en gras sont de mon fait, car j’y reviens ci-dessous.
Comment fonctionne une écoute téléphonique classique ?
Comment monte-t-on une écoute téléphonique ? C’est très simple. On cible une personne particulière, on pose une bretelle sur sa ligne, et on écoute ce qui passe. Autrefois c’était une dérivation électrique sur sa ligne ou au central téléphonique, de nos jours c’est une copie numérique indétectable.
Mais l’idée est similaire : 1) on cible, 2) on écoute, 3) on analyse
Comment fonctionne la « boite noire » Internet ?
Incidemment, il est amusant que le nom de « boite noire », qui provient des éléments de langage du ministère lors de la présentation de la loi pour éviter celui moins glorieux de DPI pour deep packet inspection (inspection de paquets), soit dès à présent tellement grillé lui aussi que son origine est attribuée aux opposants.
La boite noire est placée sur les flux réseau, de manière indiscriminée, et observe tout le trafic qui la traverse. Ou bien on a peu de boites noires placées en cœur de réseau, ou bien on en a beaucoup placées moins au cœur ; l’idée est la même, les boites noires doivent observer un maximum de trafic.
Que fait la boite noire ? Bernard Cazeneuve vient de l’expliquer dans l’interview qui précède et dans les nombreux débats.
Il s’agit de l’article L. 851-4 du code de la sécurité intérieure, qui va être créé par cette loi :
« Art. L. 851-4. Pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, le Premier ministre ou l’une des personnes déléguées par lui peut, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, imposer aux opérateurs et aux personnes mentionnés à l’article L. 851-1, pour une durée de quatre mois renouvelable, la mise en oeuvre sur leurs réseaux d’un dispositif destiné à détecter une menace terroriste sur la base de traitements automatisés des seules informations ou documents mentionnés au même article L. 851-1. Dans le respect du principe de proportionnalité, l’autorisation du Premier ministre précise le champ technique de la mise en oeuvre de ces traitements. Cette dernière ne permet de procéder ni à l’identification des personnes auxquelles ces informations ou documents se rapportent, ni au recueil d’autres données que celles qui répondent aux critères de conception des traitements automatisés. Les conditions prévues à l’article L. 861-3 sont applicables aux opérations matérielles effectuées pour cette mise en oeuvre par les opérateurs et les personnes mentionnés à l’article L. 851-1. L’article L. 821-5 n’est pas applicable à cette technique de renseignement.
« Si une telle menace est ainsi révélée, le Premier ministre ou l’une des personnes déléguées par lui peut décider, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre, de procéder à l’identification des personnes concernées et au recueil des informations ou documents afférents. Leur exploitation s’effectue alors dans les conditions prévues au chapitre II du même titre.
« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement émet un avis sur le dispositif et les critères des traitements automatisés mentionnés au premier alinéa du présent article. Elle dispose d’un accès permanent à ceux-ci, est informée de toute modification apportée et peut émettre des recommandations. Lorsqu’elle estime que les suites données à ses avis ou à ses recommandations sont insuffisantes, elle peut faire application de l’article L. 821-6. » ;
La boite noire, donc : 1) écoute l’ensemble du trafic, 2) l’analyse de manière algorithmique, 3) y identifie des cibles potentiellement dangereuses pour analyse manuelle par les services.
Vous voyez la différence ? Les écoutes téléphoniques classiques n’arrivent qu’en milieu ou fin de chaîne, lorsque par d’autres moyens on a identifié un suspect, et que l’on veut obtenir des preuves plus précises contre lui.
La boite noire fait l’inverse, elle est là pour détecter des suspects dans du trafic a priori anodin.
Il s’agit donc bel et bien d’écoute en masse, surveillance généralisée, appelez-le comme vous voulez.
CQFD.
Merci.
C’est tellement évident que s’en est presque douloureux de devoir l’expliciter.
De la même manière que les portails eco taxe devaient lire les plaques de TOUS les véhicules, ce qui a contribué à leur rejet par la population, parce que ça ressemblait un peu trop à du flicage permettant de retracer les déplacements de tout un chacun.
De la même manière que les radars automatiques contrôlent la vitesse de TOUS les véhicules qui passent devant et ne prennent en photo et verbalisent seulement ceux en excès … (une simple mise à jour de leur soft …).
Chers amis,
J’ai lu avec intérêt ce blog et le sentiment d’impuissance qui se dégage en prenant conscience des abus qui y sont énoncés est très frustrant.
Il faut agir.
Une observations me surgit d’emblée : le moment est venu – une fois pour toutes – d’invoquer la nécessité d’une loi fondamentale (elle manque dans toutes les démocraties du monde) qui puisse sanctionner le mensonge politique et qui pourrait se concrétiser de la manière suivante:
« Tout politique ou politicien doit respecter son mandat et préserver par tout moyen la confiance qui lui est attribuée, dès lors, tout mensonge spécifique* prononcé devant l’assemblée nationale sera sanctionné par une peine d’emprisonnement de 20 ans assortie de l’inéligibilité a vie, immédiatement et d’office, une fois le mensonge prouvé devant un tribunal de la république, par quiconque en détienne la preuve».
(*mensonge spécifique = tout mensonge qui vise une réalité spécifique et non pas générique).
Si une telle loi avait existé dans le passé, Jérôme Cahuzac n’aurait pas menti ou serait en prison ; dans le cas présent serait visé le ministre Cazeneuve…qui n’aurait pas menti comme il l’a fait ou sinon serait bientôt emprisonné.
Vous comprendrez que si une telle loi existait les poliques seraient plus respectueux et la France reprendrait le chemin pour devenir une meilleure démocratie et, dans l’attente, les droits de ses citoyens seraient mieux préservés.
Jean D’arq