[Ce billet étant en grande partie déductif (voire spéculatif), veuillez lire un conditionnel implicite dans tout ce que j’affirme ci-dessous ; je suis ouvert à toute correction technique sur des erreurs que j’aurais pu éventuellement commettre sur le processus électoral]
Vous n’en avez peut-être pas entendu parler, comme moi, qui l’ai découvert par hasard hier. Je vous invite à commencer par lire cet article du Monde datant du 13 avril 2017. L’article est rempli de petits détails qui comptent :
Vote en 2017 : quelque 500 000 électeurs sont inscrits deux fois sur les listes électorales
500 000 électeurs français environ sont inscrits sur 2 listes électorales, en général suite à déménagement : une fois à leur nouvelle adresse, et une fois à leur ancienne adresse.
Lors d’un déménagement, l’électeur s’inscrit à la mairie, et c’est l’administration, plutôt que l’électeur, qui s’occupe des formalités de radiation à l’ancienne adresse. L’article explique le processus : la nouvelle mairie remonte l’information d’inscription à l’INSEE, qui se charge de transmettre une demande de radiation à l’ancienne mairie.
Or, le processus semble ne pas fonctionner correctement : les radiations ne sont pas toutes actées, pour des raisons obscures. Les mairies accusent l’INSEE, qui assure que de son côté tout est exécuté dans les règles. Le tout circule par… la poste.
Il existe donc à ce jour 500 000 radiations qui n’ont pas été effectuées et qui correspondent à autant de doublons dans les listes.
Et c’est là que la situation, déjà préoccupante en elle-même, devient de plus en plus ubuesque.
Le ministère de l’intérieur, chargé de l’organisation du scrutin et d’assurer sa “sincérité”, semble tout simplement n’avoir aucune intention de changer quoi que ce soit avant le premier tour du 23 avril (je n’ai trouvé aucun communiqué officiel sur la question).
Si on creuse un peu (il suffit en fait de lire attentivement l’article qui précède), on s’aperçoit que le problème ne date pas de 2017. En 2012 déjà, 400 000 électeurs étaient inscrits en double.
Si on suppose que le volume d’erreur est resté relativement fixe et qu’on extrapole la période 2012-2017 au passé, on peut calculer qu’à raison d’environ 100 000 doublons supplémentaires par période de 5 ans, le problème date d’environ 25 ans, donc remonte à 1992 approximativement, et est connu de l’administration depuis au moins 5 ans — version optimiste ; au pire, 25 ans — plutôt que 2 semaines, et persiste néanmoins aujourd’hui.
Que faudrait-il faire pour y mettre fin ? C’est difficile à dire, car les détails qui filtrent sont rares ; et on nous assure que le problème est très complexe. Apparemment l’INSEE dispose d’une liste nationale (puisque c’est lui qui sait à qui communiquer les radiations), et les mairies disposent évidemment chacune des listes électorales locales, bureau par bureau (puisqu’elles réalisent les inscriptions et radiations).
Il serait possible (mais cela serait étonnant) que l’INSEE ne garde tout simplement pas trace des notifications de radiations proprement dites. Il est néanmoins très probable que l’INSEE conserve un historique des versions successives (au moins sur les années récentes ; peut-être pas sur les années plus anciennes, s’il existe des lois interdisant la conservation longue de ces données de nature très personnelle) du fichier national, dont il est facile de déduire la liste des radiations.
Quelques petites informations supplémentaires sur la procédure sont données dans les interviews de cette vidéo de LCI :
Le responsable électoral de la mairie de Paris 17e décrit rapidement ce que j’ai exposé plus haut.
On y entend également un avocat spécialisé en droit électoral nous expliquer que 500 000 doublons correspondent à environ 1% du corps électoral, soit 1% indûment compté en abstention ; ce qui selon lui ne serait pas très grave. Pour un premier tour de présidentielle, c’est relativement exact (hors tentatives d’exégèse du taux d’abstention) ; pour les législatives, où les candidats de second tour doivent obtenir au moins 12,5% des inscrits, cela peut changer significativement les choses.
La raison citée par la place Beauvau pour minimiser la gravité de la situation, et excuser l’absence de mesure avant le 23 avril, est que, de toute façon, la loi punit sévèrement le fait de voter en double : de 6 à 24 mois d’emprisonnement et jusqu’à 15 000 euros d’amende.
Or, retrouver les contrevenants semble quasiment impossible dans le cas général : en effet, pour cela il faudrait, d’abord, effectuer le dédoublonnage — opération dont on nous dit qu’elle est difficile, ce que semble confirmer le fait qu’elle n’ait pas été réalisée depuis 5 ans –, et, en plus, croiser le résultat avec les listes d’émargement bureau par bureau. Les listes d’émargement étant tenues de manière manuelle, puisque c’est la signature du votant qui y atteste de son vote, leur vérification a posteriori ne peut être également que manuelle.
Le plus triste à mon sens est que cette situation touchant un des éléments les plus essentiels de notre démocratie perdure depuis au moins 5 ans et soit minimisée voire ignorée par l’administration dans la plus parfaite opacité.
PS : pendant que ces trous béants persistent, les pouvoirs publics communiquent avec conviction sur les efforts déployés pour sécuriser nos élections contre les attaques informatiques provenant de puissances étrangères hostiles.
Ajout du 23 avril 2017 : on me fait remarquer dans les commentaires que la poste est supposée ne pas réexpédier les cartes d’électeur, et on me dit sur twitter que cela figure même sur l’enveloppe, ce que je n’avais pas remarqué. En effet.
Rien de bien difficile à comprendre : les élus locaux sont rémunérés en fonction du nombre d’habitants. Les subventions qu’ils reçoivent sont aussi calculées en fonction du nombre d’habitants. Tous les moyens sont donc bons pour le gonfler.
Y compris oublier de radier les morts, etc
@Saint-Frusquin là ça représente 1% du corps électoral, ça ne va pas changer grand chose à leurs subventions. De toute façon je pense même douteux que ce soient les listes électorales qui attestent de ce nombre, car elles n’incluent ni les mineurs ni les non inscrits.
Les effets de seuil sur les rémunérations des élus sont importants : par exemple, là où j’habite, la mairie bagarre sec pour conserver ses 1.500 habitants officiels (3000 l’été, mais ça ne compte pas) car il y a une nette majoration de leurs émoluments dans ce cas.
À La Poste, nous avons eu pour ordre de “tuer” (renvoyer à l’expéditeur, donc les mairies dans ce cas) les cartes des électeurs qui ont fait un suivi d’adresse permanent. Même opération pour les NPAI (n’habite pas à l’adresse indiquée). Ceci est une sorte de petite lutte contre ce phénomène des doublons…
@ZR même si c’est un peu un cautère sur une jambe de bois (il vaudrait mieux résoudre le problème à la source, ça éviterait plein de travail pour rien), ce n’est pas bête effectivement 🙂
@ZR du coup une question me taraude, est-ce que les mairies rayent quelqu’un des listes si sa carte d’électeur revient en NPAI ? Ça semble un peu abusif…
Idem pour les correspondances fiscales me semble-t-il ? Il me semble avoir lu ça quand j’ai souscrit mon Xième contrat de ré-expédition (bah oui, ya des gens qui déménagent souvent, pour bosser, pe)
oui pour les impôts c’est un grand classique. Il me semble même que l’enveloppe porte (ou portait autrefois) une mention “ne pas faire suivre”.
Pour info les mairies de plus de 2000 habitants (au moins) sont équipées d’un logiciel pour tenir leurs listes électorales.
Chaque révision (nouveaux inscrits, radiations) est examinée par une commission électorale, puis transmise pour “validation” à la préfecture.
Et je pense qu’une bonne partie de l’électorat est rattachée à une mairie (+10.000 hab) qui communique ses infos par voie démat à l’INSEE, ce n’est pas une option complexe, c’est gratuit, et les éditeurs, la plupart du temps la proposent en standard.
La phobie administrative ne s’appliquant pas à des officiers d’état civil, il faut chercher ailleurs “à qui profite le crime” 😉
@mollo merci pour l’explication. Mais avec ce logiciel, a-t-on la garantie d’être notifié des radiations ? Vous voulez dire que les 500 000 doublons ne peuvent concerner que des mairies n’utilisant pas le logiciel ?