Bitcoin, créé en 2009 et dont on a beaucoup parlé en 2013, est la première monnaie électronique non centralisée. On dit aussi parfois crypto-monnaie ou monnaie virtuelle, mais ce dernier terme est un peu fourre-tout.
Comme je me suis arraché les cheveux ces derniers temps pour en comprendre le minimum syndical, j’ai pensé en faire un article résumant ce que j’ai appris afin qu’il bénéficie à tous.
Pour les bases techniques et historiques, je vous invite à lire l’article de Wikipédia. ainsi que la série de billets de Turblog. Mais comme ceux-ci sont assez techniques, une explication plus concrète est utile.
Bitcoin est la première réponse sérieuse à un problème complexe : comment créer l’équivalent numérique d’une monnaie physique, sans que celle-ci soit liée à une autorité centrale ? Cette dernière rend le problème trivial : les monnaies virtuelles sont légions, notamment dans les jeux en ligne.
C’est à dire que l’on cherchait une monnaie :
- échangeable facilement et sans frais de personne à personne
- difficile à falsifier
- utilisable et échangeable de façon plus ou moins anonyme, comme l’argent liquide
- non duplicable, c’est à dire utilisable une seule fois
- utilisable sans passer par une autorité centrale
- d’une valeur reconnue
Et de préférence échangeable à distance, à travers Internet par exemple
Bitcoin est la première solution mise en œuvre à grande échelle avec un succès relatif, c’est ce qui fait son intérêt.
Il est très facile et maintenant banal de réaliser le point 2, des documents numériques infalsifiables, à l’aide de la cryptographie, mais beaucoup plus difficile d’assurer le point 4 et le point 5.
Bitcoin propose une solution à tout cela en sacrifiant la confidentialité des transactions. Celles-ci sont visibles publiquement, ce qui permet leur vérification par un réseau décentralisé, comme dans beaucoup de protocoles pair-à-pair. L’idée est qu’avec un nombre suffisamment grand de partenaires d’origines et d’intérêts variés, une collusion entre eux pour falsifier les transactions est impossible.
Le cœur du système Bitcoin
Il existe donc deux principaux types d’acteurs dans Bitcoin :
- vous et moi, avec nos portes-monnaie ;
- le système de vérification et authentification des Bitcoins, aussi appelé les mineurs, qui fabriquent la monnaie, gardent trace des transactions validées, et reçoivent éventuellement une commission sur les transactions.
À cela s’ajoute tout un ensemble d’intermédiaires : places de marché diverses, accès au journal des transactions sur blockchain.info, agrégation de cours, etc.
La création de monnaie
La quantité de Bitcoins est fixée arbitrairement par l’algorithme initial. Pour éviter que n’importe qui puisse créer de la monnaie, sa création est volontairement difficile et repose sur le concept de preuve de travail. Ce travail est effectué par les ordinateurs en réseau des mineurs.
Le nombre total d’unités Bitcoin est mathématiquement limité à 21 millions. À ce jour, environ la moitié ont déjà été mis en circulation, à un taux qui se ralentira régulièrement au fil du temps.
Le Bitcoin ne peut donc, à la différence des monnaies classiques, être régulé par une banque centrale qui créerait ou détruirait de la monnaie à volonté pour amortir les variations de cours et l’inflation. C’est à la fois ce qui fait sa force et sa vulnérabilité.
Comment fonctionne le porte-monnaie ?
Un porte-monnaie Bitcoin est une paire de clés cryptographiques publique/privée. Le porte-monnaie ne contient rien d’autre, il permet juste d’insérer de nouvelles transactions signées dans le système Bitcoin.
La clé publique est le “numéro de compte” ou l'”adresse” Bitcoin. N’importe qui disposant d’un porte-monnaie crédité peut envoyer des Bitcoins à cette adresse.
La clé privée permet de signer des transactions pour dépenser de l’argent en faveur d’un autre porte-monnaie. On peut en outre y ajouter une commission, non obligatoire, pour que la transaction soit plus rapidement validée par les mineurs.
En effet, il est possible de signer absolument n’importe quelle transaction, aussi farfelue soit-elle. C’est là que le réseau Bitcoin entre en jeu : on s’assure dans l’historique que la somme dépensée a bien été reçue au préalable sur le compte émetteur via des transactions créditrices. Les mineurs dépensent du temps de calcul informatique à créer, toutes les 10 minutes, un bloc signé contenant les dernières transactions. Ils sont rémunérés pour cela par les commissions facultatives à l’initiative de l’émetteur de la transaction.
On voit donc que Bitcoin ne fonctionne pas sur des conservations de totaux créditeurs, mais sur des deltas : une transaction de dépense n’est valide que s’il est possible de lui faire correspondre des transactions antérieures de recettes pour un montant suffisant, non déjà dépensées.
La sécurité du porte-monnaie repose exclusivement sur la confidentialité de la clé privée. Ainsi, si certains services web proposent de la gérer eux-mêmes (certains ont déjà été piratés afin d’y vider les comptes associés), la méthode incontestablement la plus sûre est de la conserver chez soi, de préférence sur un ordinateur non connecté à Internet, voire sur un bout de papier ou une clé USB que l’on déconnecte après usage.
Il existe différents types de porte-monnaie sur ordinateur : ceux qui récupèrent une copie complète de la chaîne de transaction, qui ont besoin pour cela d’un espace disque et un volume réseau considérables, et les thin-clients, beaucoup plus simples à mettre en œuvre mais moins sûrs car dépendant d’un réseau de serveurs intermédiaires. Je n’entrerai pas ici dans les détails.
Sur la création de couples de clés pour porte-monnaie, je recommande le fascinant bitaddress.org qui montre une quantité de possibilités.
La volatilité
L”inconvénient le plus visible du Bitcoin est la variabilité de son cours de change avec les monnaies classiques, soumis à beaucoup d’aléas, paniques et manipulations, comme un cours de bourse, puisque ne dépendant que de transactions privées de gré à gré. Cette volatilité est renforcée par le nombre limité de Bitcoins en circulation et par le faible volume relatif des transactions.
Ci-dessous, voici un graphe de cours montrant en particulier la dernière bulle Bitcoin, avec l’envolée de 100€ à près de 900€ en novembre 2013, suivie d’une chute récente, qui n’est pas la première ni certainement la dernière.
Cette chute est due à la rumeur lancée ce week-end par une blague probablement pas désintéressée : le site directory.io laissait entendre qu’il avait cassé le système des clés privées. Apparemment, beaucoup de possesseurs de Bitcoins ont paniqué et ont revendu.
(cliquer pour agrandir)
source: Bitcoincharts.com http://bitcoincharts.com/charts/mtgoxEUR#rg360ztgSzm1g10zm2g25zv
Cours du jour BTC/EUR :
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Comment obtenir des Bitcoins ?
Il existe deux façons d’avoir des Bitcoins :
- en obtenir de quelqu’un qui en possède déjà ;
- être mineur, c’est à dire entrer dans le système de validation des blocs de transaction. Cela demande des moyens informatiques non négligeables. En échange de quoi, les mineurs sont rémunérés par la création de monnaie et par des commissions sur les transactions.
Le point 2 n’étant pas accessible au commun des mortels, à qui acheter des bitcoins ?
On peut déjà en échanger facilement avec des amis, le système a été conçu exactement pour cela.
On pourrait espérer également, pour les gens qui n’ont pas d’amis ou pas d’amis branchés, qu’il existe des bureaux de change “classiques” où l’on pourrait obtenir des Bitcoins en échange d’une monnaie classique, à un cours plus ou moins officiel, et sans formalité.
En fait, en raison sans doute de la variabilité des cours, il semble que personne n’ait pris le risque de lancer un tel bureau de change.
Les plateformes disponibles se contentent donc d’être des places de marché, des intermédiaires de confiance entre un vendeur et un acheteur, avec un fonctionnement similaire à celui des bourses : on place une transaction d’achat ou de vente, à un prix maximal ou minimal, et on attend qu’une contrepartie se présente. La place de marché tient trace des transactions en attente, et publie les cours le plus élevé et le plus bas, et le dernier cours du jour.
On peut citer par exemple :
- le français bitcoin-central.net
- le japonais mtgox.com, sans doute le plus connu (je le croyais états-unien, merci à Stéphane Bortzmeyer et Martin Korolczuk pour la rectification)
- le tchéquo-londonien (?) btc-e.com. Curieusement BTC-E est qualifié ici et là de Bulgare, alors que le détenteur du site indique un compte dans une banque à Prague (République Tchèque) pour une adresse postale à Londres (Royaume-Uni).
Et last but not least, le premier distributeur automatique de Bitcoins a vu le jour à Vancouver le mois dernier. Il s’agit sans doute du moyen le plus simple d’obtenir des Bitcoins à ce jour. Le distributeur propose même de créer un porte-monnaie à la volée, pour ceux qui n’en disposent pas encore.
Comment dépenser les Bitcoins ?
Une fois obtenu des Bitcoins, on peut se contenter de les conserver et de jouer avec. Mais on peut également les dépenser dans quelques magasins en ligne, mentionnés par exemple dans cet article de CNBC.
On peut encore les céder sur une bourse d’échange.
Une autre applications intéressante du Bitcoin est le transfert international sans frais avec change : en se servant uniquement du Bitcoin comme monnaie intermédiaire entre deux monnaies classiques, on peut réaliser des virements quasi instantanés d’un bout à l’autre de la planète. Le Bitcoin n’étant utilisé que pendant un court moment, la variabilité de son cours n’est pas un gros problème.
Et enfin, on peut s’en servir pour rémunérer des petits services, comme des blogs par exemple. Vous pouvez ainsi m’en donner quelques uns (cf adresse ci-dessous) si l’article vous a intéressé 🙂
Bitcoin, anonyme ? Pas vraiment
On lit ici ou là que le Bitcoin serait anonyme, mais attention : pas au sens où on l’entend habituellement.
En effet, si la relation théorique entre un porte-monnaie Bitcoin et son propriétaire n’est connue que de lui seul, puisque prouvée uniquement par la détention d’un secret mathématique, il se dévoile plus ou moins lors des transactions qu’il effectue qui, comme on l’a vu, sont publiques par construction depuis l’origine du système. Le site blockchain.info permet ainsi de consulter toutes les transactions. Il est cependant éventuellement possible de compresser a posteriori la chaîne, en en faisant disparaître les transactions devenues superflues.
Le Bitcoin a donc un niveau de confidentialité très différent du système bancaire classique, où à l’exception de quelques paradis fiscaux l’identité des détenteurs et le détail des transactions ne sont disponibles qu’à la banque et aux autorités.
Ainsi, il est facile de consulter les transactions des porte-monnaie associés aux articles de blog suivants pour recevoir des dons :
http://www.rfc1149.net/blog/2013/05/02/why-bitcoin-transfers-are-not-instantaneous/ => https://blockchain.info/address/17Kr97KJNWrsAmgr3wJBVnLAuWqCCvAdMq
http://h16free.com/2013/11/28/27544-regardons-au-dela-de-la-bulle-bitcoin => https://blockchain.info/address/1EXgo7U3UA17u7njFK437ApCtsJvA7LdRB
Le porte-monnaie pour les dons suite à la blague de directory.io : https://blockchain.info/address/1Bv8dN7pemC5N3urfMDdAFReibefrBqCaK
Et celui qui correspond à cet article : https://blockchain.info/address/1Nb4aJWgAUAqMUCzeF2vTTDUNVNTM5ak42
Une expérience intéressante…
Bitcoin, malgré des défauts évidents qui en rendent l’utilisation délicate dans la vie de tous les jours (je n’y convertirai certainement pas toutes mes économies), a le mérite d’avoir démontré la faisabilité d’une monnaie électronique et collaborative, sans banque centrale, qui n’allait pas de soi. Cela fait déjà grincer les dents des plus dogmatiques, ce qui n’est pas pour me déplaire. Ça ne peut pas marcher parce qu’il n’y a pas d’État. Euh, mais pourquoi ? Parce que. Ah, d’accord.
Déjà, de nouvelles crypto-monnaies suivent son exemple avec quelques adaptations mineures, comme le Litecoin (LTC).
Évidemment, personne ne peut garantir avec certitude qu’il n’existe pas une vulnérabilité essentielle qui puisse faire vaciller ou s’écrouler tout l’édifice (ce qui s’est vu aussi avec des monnaies classiques). On peut seulement constater que le système a tenu presque 5 ans sans encombre.
Il est probable que nous entendrons régulièrement prononcer sa mort prochaine ou son inutilité, comme cela a été le cas à maintes reprises pour l’Internet, autre invention d’individus peu recommandables.
À ce jour je ne détiens toujours pas un seul (ni même une seule fraction de) Bitcoin, les places de marché suscitées n’étant pas accessibles sans des procédures de validation qui prennent plusieurs jours. Alors si vous souhaitez avoir la bonté de me virer quelques fractions de Bitcoin afin que je puisse jouer moi aussi, voici ci-dessous les références de mon porte-monnaie. Merci !
bitcoin:1Nb4aJWgAUAqMUCzeF2vTTDUNVNTM5ak42
Références
Merci à Samuel Tardieu, Hashtable, Stéphane Bortzmeyer, Turblog, et bien sûr l’indispensable Wikipédia, pour leurs articles, avis et conseils éclairés.
Un historique sur les origines de Bitcoin : The rise and fall of Bitcoin
Une analyse intéressante : Regardons au delà de la bulle Bitcoin
Un point de vue sur le rôle supposément indispensable de l’État : A Prediction: Bitcoin Is Doomed to Fail
Pour moi, MtGox est japonais, pas américain (législation bien plus accessible au Japon).https://www.mtgox.com/terms_of_service
@Stéphane : merci, j’ai corrigé.
Bonjour Pierre,
Merci pour cet excellent article, bien complété par l’émission “Place de la Toile” de samedi dernier. J’ai juste une petite question cependant: je n’ai pas bien compris comment se faisait l’adaptation de la complexité de calcul des blocs de transactions pour prendre en compte l’évolution de la puissance des machines du réseau de mineurs, ou de leur nombre, de façon à maintenir les intervalles de 10 minutes et de 4 ans environ. J’ai du mal à imaginer qu’il puisse s’agir d’une décision concertée entre tous les participants… 😉
Quel est donc le mécanisme (si tu le connais) ?
@Bruno merci 🙂
C’est très simple, à intervalles réguliers (tous les 2016 blocs, soit 2 semaines) l’algorithme évalue le temps réel qu’il a fallu. Si c’est moins de 10 minutes par bloc, la difficulté est augmentée. Sinon, elle est réduite.
Je te recommande le wiki Bitcoin, il est vraiment très détaillé sur tous ces sujets.
https://en.bitcoin.it/wiki/Difficulty
The difficulty is adjusted every 2016 blocks based on the time it took to find the previous 2016 blocks. At the desired rate of one block each 10 minutes, 2016 blocks would take exactly two weeks to find. If the previous 2016 blocks took more than two weeks to find, the difficulty is reduced. If they took less than two weeks, the difficulty is increased. The change in difficulty is in proportion to the amount of time over or under two weeks the previous 2016 blocks took to find.